08 novembre 2014

Une sordide fureur de vivre.


          Je regroupe ici tous les articles concernant cette histoire du  défi d'écriture d'Asphodèle afin de n'avoir qu'un seul lien à mettre sur mon autre blog.

Première partie

1

Retour et drame


             L’hiver de janvier était là avec toute sa transformation blanche. Les branches du majestueux et unique sapin du jardin se déguisaient et ployaient sous la masse de neige gelée. Quelques traces de pas témoignaient du passage du médecin en ce lugubre matin.

          La femme au regard éploré, empli d’un amour infini, fermaient les yeux du patriarche, son père. Le cœur trop faible et usé du vieil homme n’avait pas résisté au retour de sa petite-fille, après une disparition soudaine cinq ans plus tôt.
          Avant le drame du kidnapping, la jeune- fille en pleine adolescence, le visage auréolé de cheveux blonds bouclés, pleine de douceur et de délicatesse, venait vers lui tous les matins et lui donnait un baiser sur le front en disant « Mon Papinou je t’adore… ». Quel changement ! La chenille ne s’était pas transformée en papillon mais en cafard ! Une éclosion maléfique, un visage aux yeux de braise au crayon noir, une chevelure couleur geai en broussaille, une véritable évolution dans le macabre, une gothique quoi !

          Nicky et son père, pendant ces années pénibles, avaient harcelé les forces de police pour retrouver Lucie et recevaient inlassablement la même réponse : « Nous faisons le maximum…Dès que nous aurons des nouvelles, nous vous préviendrons… » Le père de Lucie, éperdu de douleur, sombrait dans le négativisme et ne soutenait guère son épouse. Il lui reprochait d’avoir trop gâté leur fille, de lui avoir laissé trop de liberté. Il croyait à une fugue due aux mauvaises fréquentations de leur fille depuis son entrée au lycée. Il travestissait la vérité pour trouver un bouc émissaire pour supporter son chagrin et sa colère.

          Et voilà que par magie, un jour, comme le lapin sorti du chapeau, leur fille réapparaissait vêtue d’un long manteau noir laissant apparaître une mini-jupe noir et blanc, sur un collant opaque et des chaussures ridicules qui claquaient sur le sol du vestibule. Ses premières paroles :

          « Salut la compagnie ! Inutile de me lorgner comme çà, je ne suis pas un fantôme ! »

          Nicky se tenait au chambranle de la porte, incrédule, incapable de prononcer une parole. Elle ne reconnaissait pas Lucie en cette fille vulgaire….

          « Allons la mère, tu ne vas pas tomber dans les pommes quand même ! »

          Son père la fixa, le cœur serré, incapable de s’approcher d’elle, cette fille ne pouvait être la sienne et pourtant… :

          «  Lucie, tu disparais toutes ces années, sans un mot, sans une explication, où étais-tu ? Où vivais-tu ? Tu n’avais pas encore quinze ans lors du rapt ! Explique-nous… »

          « Oh ! Le père ! Ne monte pas sur tes grands chevaux ! Je ne suis plus une gamine ! Et je n’ai jamais été enlevée ! J’ai pris mon envol parce que mon copain quittait la région…. Comme il avait eu des ennuis avec les keufs, on se cachait…. Il est en taule maintenant et moi je suis enceinte et pour assumer la grossesse il me faut du fric et le « Vieux » en a»

          Quand le grand-père lui mit le marché en main, Je te donnerai de l’argent pour t’aider à condition que tu changes d’allure et revienne chez tes parents,  elle répondit furieuse :

          « Dis donc le Papinou, tu comptes faire quoi de ton fric quand tu seras six pieds sous terre ? Il vaut mieux que j’en profite maintenant, pendant que je suis encore jeune ! A ton âge tu n’as plus besoin de rien ! »

          Le grand-père voulut répondre vertement à Lucie mais il se sentit mal, une douleur atroce lui prit la poitrine dans un étau et il s’écroula.

          Tandis que Nicky appelait le médecin, Francis jeta un regard furieux à sa fille qui rétorqua :

          « Eh ! Il ne faudrait pas me mettre çà sur le dos ! Il va s’en remettre, il est résistant ! »

          Elle reçut une magistrale gifle. Surprise elle ne réagit pas tout de suite puis :

          « Je vois que c’est toujours pareil ici ! C’est toujours le Vieux qui décide de tout et qui a droit à tous les égards ! Je vous laisse à votre vie de petits bourgeois, je me taille… Mais je reviendrai… »

          Nicky pleurait et voulut la rattraper mais Francis la retint :
          « Reste près de ton père, c’est plus urgent…. Elle n’est pas venue en voiture donc elle doit habiter dans notre ville… Nous la retrouverons… »

          Une heure plus tard le vieil homme s’éteignait. La neige continuait de tomber et avait presque effacé les dernières traces de pas…
----------

2

Tour de la déchéance


          Réveil en sursaut ! Le cri de Lucie résonna dans le silence de la nuit. Elle tâtonna le mur de sa chambre à la recherche d’un interrupteur. Son cœur s’affola jusqu’à lui provoquer une douleur aigue dans la poitrine. En dehors du fait que le noir lui faisait horreur, elle sentait l’angoisse l’envahir. Elle cligna des yeux face à la lueur provoquée par la porte qui s’ouvrait. Un jeune-homme apparut :

          « Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as réveillé tout le monde avec ton cri ! »

          Denis était l’un des quatre colocataires de l’appartement de cinq pièces situé au dernier étage d’un immeuble qui en comportait treize,  dans le quartier plutôt mal famé « Bois l’abbé » à Champigny- sur-Marne. Le logement, pourvu de deux salles de bains faisait l’affaire des deux couples : Eva, Denis et Lucie, Damien. Depuis l’arrestation de ce dernier pour vol à l’étalage, les finances étaient plus que basses. A la réflexion de Denis, Lucie rétorqua :

          « Tu ne vas pas en faire un fromage ! J’ai juste fait un cauchemar ! Pour me remettre je vais boire un coup de vodka… »

          « Il n’y a plus d’alcool dans la  maison, fric zéro alors tu va devoir t’en passer, et si tôt le matin ce ne sera pas un mal, tu déconnes vraiment…. »

          « Mais j’ai ramené une bouteille hier soir ! C’est encore cette conne d’Eva qui l’a sifflée ! »

          Denis haussa les épaules, la vie était dure pour tous. Eva se payait comme elle le pouvait, Lucie devait sa part de loyer depuis trois mois. Pris dans le tourbillon d’une exécrable existence, Denis, tentait cependant de ne pas trop dégringoler. Eva se droguait et il en était très malheureux. Lucie n’avait-elle pas réussi à obtenir un peu d’argent de son grand-père ?

          Agacée Lucie répondit :

          « Il nous a fait la valse de l’agonisant, le malaise à point nommé…Juste pour que tout le monde s’occupe de lui comme toujours. J’y retournerai demain… »

          « Ce serait bien que tu obtiennes satisfaction sinon On va tous se retrouver sous les ponts, je ne peux assumer seul le loyer….Damien ne sors pas avant deux mois… Et Allan ?»

          Comment osait-il lui parler d’Allan ! Elle avait cher payé sa liberté ! Elle eut soudain un vertige. Elle se rua dans les toilettes, de terribles nausées la secouaient mais rien ne venait… Pas étonnant, elle n’avait rien mangé la veille. Elle se regarda dans le miroir et ce qu’elle aperçut la remplit d’effroi. Non démaquillée la veille, le crayon noir laissait des cernes sombres, le mascara collait ses longs cils par paquets. Elle ouvrit le robinet, laissa couler l’eau à flot et se frotta frénétiquement le visage ! Ce fut pire ! La savonnette à l’amande douce prit le relais et peu à peu le visage de Lucie apparut vierge de tout fard, rougi par les frottements mais au moins c’était elle ! Elle s’enivrait avec n’importe quel alcool. Sa raison embuée de haine la rendait vulnérable et perméable à tout ce qui était néfaste. Son existence avait pour rime, déchéance ! Un vrai poème ! La houle de la stupéfaction avait dévasté son cœur et les bons sentiments évanouis dans le ressac de la baïne ! Tout cela à cause de… A quoi bon ressasser… Elle n’était la fille de personne… Elle rit nerveusement en murmurant : Je ne suis qu’un résultat de laboratoire…


 ----------
  

3

Quinze ans plus tôt.


          Une fillette de cinq ans, toujours gaie, riait aux éclats tandis que sa m     aman poussait la balançoire.  Le portique au milieu de la pelouse entourée de rosiers odorants trônait dans un paradis de fleurs. Le ciel sans nuage, sans tonnerre était complice des jeux de Lucie. La coquette maisonnette en bois au fond du jardin était son lieu favori. Après dix ans de mariage, ses parents commençaient à désespérer puis arriva le miracle. Rien ne fut trop beau pour la petite princesse. N’ayant jamais connu sa grand-mère elle avait reporté toute son affection sur son « Papinou ».

          Toute la famille vivait alors aux Etats-Unis. Puis, une mutation se pointa à l’horizon pour son père. Il fut envoyé en France, leur pays d’origine. Nicky quitta son emploi de professeur de français pour suivre son mari en Europe.

          Après un mois à l’hôtel en région parisienne, le mobilier au garde-meubles, Papinou trouva un pavillon avec une piscine à Ferolles en Seine et Marne. Le coin était tranquille et ils pouvaient tous cohabiter avec le patriarche car la villa était immense. Francis nommait son beau-père ainsi car il était à la tête des finances. Ils emménagèrent donc le mardi suivant l’achat définitif. Quel bonheur de retrouver leurs meubles, leurs lits  et leurs objets personnels ! Lucie apprit à nager mais son plus grand plaisir venait des moments à regarder les étoiles à l’aide du télescope de son Papinou. Ce dernier féru d’astronomie, lui racontait des fables de divinités célestes habitant l’Empyrée, un royaume imaginaire et mystérieux où les méchants n’existaient pas ou alors étaient envoyés en enfer. Une vague de tendresse envahissait la petite qui l’écoutait religieusement. Elle se retrouvait au septième ciel !

          Puis un jour Lucie demanda à ses parents un petit-frère. L’atmosphère se chargea d’électricité. La fillette oublia très vite ce désir, les amies d’école suffisaient à son bonheur, du moins le croyaient ses parents avec soulagement.

          Lorsque Lucie devint une adorable adolescente de quinze ans, elle reposa la question à ses parents. Elle en avait marre d’être fille unique. La tempête s’abattit alors sur leur vie d’azur. Papinou semblait gêné… Qu’avait d’extraordinaire sa question ? Nicky expliqua tant bien que mal qu’à quarante ans c’était risqué, tant pour elle que pour l’enfant. Lucie n’en fut pas convaincue du tout ! Nicky pensait que ce désir d’autrefois gisait sous la feuillée des années passées, hélas…

          La nuit même, Lucie descendit dans la cuisine pour se servir un verre de lait quand elle entendit des murmures venant de la chambre de ses parents. Elle colla son oreille à la porte et écouta. Sa mère était très nerveuse :

          « Lucie ne va pas abandonner cette fois. Petite, nous pouvions éluder ses questions mais maintenant… »

          Son père plutôt agressif :

          « Que voudrais-tu lui dire ? Que tu n’as jamais été enceinte d’elle ? Comment crois-tu qu’elle va réagir à cette nouvelle ?»

          « Francis peu importe, c’est notre fille même si une autre l’a portée…. »

          Lucie avait le souffle coupée. Elle se laissa glisser au sol… Son père continuait :

          « Que crois-tu qu’elle pensera si tu lui avoues que tu ne pouvais mener une grossesse à terme et que ma semence a été implantée dans l’utérus d’une parfaite inconnue à Las Vegas ? »

          « Ta semence ? Officiellement oui mais tu sais parfaitement que ce n’est pas le cas… Les relations de mon père t’ont quand même bien aidé ! »

          Lucie en avait assez entendu. Elle n’était la fille de personne, juste un résidu d’éprouvette ! Elle ne parvenait à y croire !  Son existence embellie par tants de moments heureux n’était qu’illusion ! Même son Papinou n’était rien pour elle ! Son univers s’écroulait. Ils lui avaient tous menti. Elle téléphona à son petit copain, jeta quelques vêtements dans son sac de sport,  prit deux cents euros dans le portefeuille de son père et quitta silencieusement la maison….




----------


4

La fugue


          Quand Lucie se présenta avec son baluchon à la porte de l’appartement des parents de Damien, ceux-ci refusèrent de cautionner la fugue de Lucie :

           « Lucie, même si tu as une dent contre tes parents, avec un peu de réflexion tu t’apercevras que ce n’est pas si grave. A quinze ans la sagesse serait de retourner chez toi et de t’expliquer avec eux »

          L’adolescente fit semblant d’accepter ne voulant surtout pas qu’ils téléphonent à ses parents :

         Vous avez raison… Damien peut-il me raccompagner ?

          Après avoir raconté son histoire, Lucie dit à Damien qu’elle ne changerait pas d’avis, elle n’avait plus de famille et elle se fichait pas mal de ce grand-père qui finalement n’avait aucun lien de parenté avec elle. Damien s’inquiétait : où allait-elle vivre ? Lucie n’avait aucun doute en disant qu’il fallait qu’elle quitte le pays, seulement… Philosophie toute simple : elle désirait que Damien l’accompagne. Il était majeur depuis un mois et elle pourrait vivre avec lui… Se rendait-elle compte qu’il pouvait être accusé de détournement de mineure ? Elle aurait bientôt seize ans et pourrait demander son émancipation ! Utopique tout çà ! Ne l’aimait-il plus ? Bien sûr qu’il l’aimait mais il n’avait pas envie de se retrouver enfermé jusqu’à la vieillesse ! Lucie haussa les épaules, déçue :

          Et bien reste ! Moi je ne rentre pas. Tu es aussi menteur qu’EUX !

          Elle lui tourna le dos, prête à poursuivre sa route… Il la retint par le bras :

          Ma chérie, je t’aime trop pour te laisser partir ainsi… Attend-moi à la gare du RER. Je rassemblerai quelques affaires pendant que ma mère sera chez ma sœur et je te rejoindrai… Promets de m’attendre, sinon gare à tes fesses si je te retrouve !

          Damien ne faisait pas dans la circonspection avec une telle attitude mais il voulait dédramatiser la situation. Peut-être Lucie reviendrait-elle sur sa décision un peu plus tard aussi ne fallait-il surtout pas la laisser seule.

          Dès le crépuscule, Damien retrouva Lucie un peu courroucée d’avoir attendue. La patience n’était pas une de ses vertus. Ils firent le point sur leur état financier, pas la richesse mais au moins avec les économies de Damien, ils pourraient tenir quelques temps. Ils ne prendraient pas le train car si la famille de Lucie déclarait sa disparition à la police, ils seraient vite retrouvés.

          Ils prirent le bus pour la campagne environnante et ensuite firent du stop. Peu de voitures circulaient sur cette route et ils durent attendre un bon moment avant qu’un camion ne ralentisse et que le chauffeur leur demande :

          « Alors les enfants ! Que faites-vous au bord de la route à cette heure de la nuit ? Heureusement que c’est jour de pleine lune ! Je vous ai vus à la dernière minute !»

          Ils déclarèrent être jeunes mariés et vouloir se rendre à l’étranger pour leur voyage de noces mais par manque d’argent devait se contenter de faire du stop. Bien jeunes pour être mariés ? Juste la majorité répondit très vite la gracile Lucie se sentant toute petite face à l’homme à la barbe impressionnante et à la carrure d’une armoire à glace ! Il hocha la tête, peu convaincu mais :

          « Montez, je me rends aux Pays-Bas retrouver ma fille Grenadine qui a presque votre âge et si cet endroit vous plait, ma sœur tient une petite auberge à Hillegom, elle pourrait vous héberger pour un prix modique… et ne vous demanderait pas vos papiers... »





          Une telle chance était à graver dans les annales du voyage ! Même de quoi devenir psalmiste en écrivant des poèmes pour remercier le ciel ! Il faudrait être idiot pour refuser une telle manne ! C’est donc avec sérénité et le cœur en paix qu’ils entreprirent le voyage jusqu’en Hollande.



5

La séparation furtive


          Lucie pensait que l’éloignement l’aiderait à supporter ce qu’elle venait d’apprendre mais changer de lieu pour combattre sa déception n’était en fait qu’un handicap de plus… Avec Damien elle se retrouvait en pleine incompréhension…

          Bien installés dans la petite auberge-hôtel qui ne comportait que six chambres, ils proposèrent à la propriétaire de l’aider pour le service. Ils ne demandaient pas à être payés, juste le gîte et le couvert.

          Puis un jour, arriva Allan, très élégant, type latino à la peau mâte, le regard noir puissant et appuyant. Il jeta son dévolu sur Lucie qui, d’un air hagard, écoutait le récit des voyages de l’hidalgo. Damien tenta plusieurs fois d’attirer l’attention de Lucie mais elle lui fit remarquer qu’il dérangeait.

          Dans un élan de solidarité, Allan aida Lucie à mettre les chaises sur la table à la fin de son service et l’invita à sortir pour briser sa solitude. Elle était sous le charme. Damien tenta de la mettre en garde mais ce que pensait le jeune homme lui était complètement égal. S’en suivit une dispute et Damien auparavant si complémentaire avec Lucie se retrouvait relégué au second plan sans aucune tolérance. Il bougonna en passant devant la patronne : 

          « Avec son horrifiant étalage de richesse, ce mec ne m’inspire aucune confiance, j’ai peur pour Lucie…. Elle ne m’aime pas, son amour pour moi s’est envolé devant le premier Don Juan venu ! »

          En se réveillant le lendemain, il s’affola. Les vêtements de Lucie gisaient sur le sol en mosaïque multicolore et aucune trace de la jeune-fille. La patronne, jour de congé, menant les quelques bovins de son étable sur l’herbage, n’avait pas vu Lucie. Elle avait entendu une voiture s’arrêter vers trois heures du matin puis après quelques minutes repartir. D’après le claquement des portes, ils étaient plusieurs.

          Damien fit le tour de la chambre à la recherche d’une explication et trouva un billet rapidement gribouillé : Pardonne-moi cette séparation, je dois aller de l’avant… Allan me propose un emploi très bien rémunéré… Toi tu peux retourner chez tes parents, je suis certaine qu’ils t’accueilleront avec soulagement. Adieu.


          Damien se souvenait de l’histoire d’une amie qui se trouvait dans cette similitude et qui avait trouvé la mort, complètement droguée et…. Mon Dieu ! Il fallait absolument qu’il retrouve Lucie !


6

La Jacaranda »

          Les mots du billet de Lucie résonnaient dans la tête de Damien comme une musique atroce et lancinante. Il observa le moindre détail de la chambre à la recherche d’un indice, car même infime, ce serait le début d’une piste. Les minutes s’écoulaient et il ne trouvait rien. Il appela le mobile de la jeune fille, il restait étrangement muet, pas même la messagerie !

          Il s’assit sur le lit se disant qu’un peu de méditation pourrait, non pas l’apaiser, mais au moins l’aider à réfléchir. L’ambiance était angoissante… Comment avait-elle pu suivre un inconnu sans émettre la moindre réserve ?

          Il ne pouvait se rendre au commissariat alors il demanda conseil à la tenancière de l’auberge. Elle appela son frère Robin, le routier, , pas encore reparti pour un nouveau transport, et lui narra le problème. Il se gratta la tête et le regard grave dit :

« Cet Allan est connu pour aimer la chair fraîche, ta Lucie est un agneau au milieu d’une horde de loups, une organisation de prostitution. Je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer n’étant arrivé que dans la nuit sinon je t’aurais mis en garde. Pour l’essentiel sache que cette mafia argentine a pour nom « Jacaranda » en association avec la couleur des fleurs de cette arbre, elle adore les jeunes filles « fleur bleue » et ayant moins de vingt ans. Les racoleurs sont généralement très beaux et joue naturellement de cette beauté pour attirer les filles. L’opération est accomplie avec justesse et précision. D’abord le charme, l’envoûtement et une nuit… disparition.

          Mais si cet Allan était connu pour ses forfaits, pourquoi les forces de police ne l’appréhendaient-ils pas ? Parce qu’il était malin, il ne travaillait pas seul et avait toujours un bon alibi au moment des disparitions. Comment Robert connaissait-il tous ces détails ? La rumeur, la terrible rumeur !

          Plus aucun son ne sortait de la bouche de Damien à présent, tétanisé par le récit il avait même du mal à avaler sa salive. Il était béat, non de félicité mais d’horreur en imaginant Lucie au milieu de ces monstres !


          Une atroce douleur le prenait à la poitrine, Il se dit que Dieu devrait faire un miracle et le remettre sur le chemin de la jeune fille. Il se rendit donc à l’église Moïse et Aaron à Amsterdam. L’édifice néoclassique, consacré en 1841, à l’emplacement d’une ancienne bâtisse privée abritait autrefois une église catholique clandestine. Grâce à un architecte belge, la façade du monument architectural fut dotée de quatre colonnes massives et avait en décoration centrale une statue du Christ. L’intérieur était lourd et surtout baroque. Les deux tours jumelles faisaient ressembler l’ensemble à une cathédrale. Depuis longtemps le confessionnal n’abritait plus les péchés des fidèles. Les deux frères Moïse et Aaron siégeaient en toute immortalité de pierre au dessus d’un des portails à l’arrière du bâtiment en mémoire de l’ancienne « maison de Moïse et Aaron » où ils  furent déménagés du fronton. 

          Damien fut déçu de ne pouvoir y prier, pourquoi bon sang ne s’était-il pas renseigné à ce sujet ! Les anges n’étaient décidément pas de son côté ! La lassitude le gagnait. Il avait bien besoin de repos mais comment le trouver en pensant à Lucie ! Le mandala de sa vie était un cercle infernal ! Une liane, un arbre, une seconde de délire et…. Non, il n’avait pas le droit d’abandonner, s’il ne voulait pas que les vampires, êtres malfaisants de la nuit, ne viennent le hanter et l’empêcher à jamais de trouver l’oubli des mauvais moments.

          Patience et longueur de temps… Mais il n’avait ni patience, ni temps, Lucie était en danger ! Sa passion pour elle ne s’émoussait pas malgré sa déplorable attitude. Il savait à l’avance que le chemin ne serait pas facile avec elle mais il savait aussi qu’en regardant par le petit trou de la lucarne, la jeune fille avait un cœur d’or. Sa fragilité émotionnelle, accrue par divers évènements, l’avait poussée à faire n’importe quoi. Une fois de plus il lui trouvait des excuses

          Que faisait-il assis sur ce lit depuis son retour ? Il n’était pas en vacances ! Un jour de perdu pouvait avoir des conséquences dramatiques !



La "Jacaranda" suite 2

           Les regrets ne servaient à rien, ni engranger les remords. Un regain de courage l’habita soudain, il se leva d’un bond, enfila sa veste et sortit de la chambre. Il n’arriverait à rien avec une attitude négative. Son amour pour Lucie lui donnait des ailes et il parviendrait à remuer les montagnes pour elle !

          Après un bon bol d’air dans le parc de la mairie où il respira profondément pour se remettre les idées en place, une phrase d’Allan à Lucie lui revint en mémoire : J’ai plusieurs demeures où tu serais bien mieux que dans cette auberge minable, surtout celle de Marseille, et de plus, une personne pourrait t’initier au secrétariat et tu travaillerais dans mes bureaux. Finis les recherches d’un nouveau travail, les imprévus pécuniaires, les myriades de soucis du quotidien. Ce serait magnifique non ? Essaie d’y réfléchir….

          Pourquoi Damien n’avait-il pas pris garde au caractère tout en espièglerie de Lucie ? Cette phrase avait dû mettre son esprit en allégresse et, pleine de jubilation elle avait dû prendre la décision maudite de tenter l’aventure. Lui, naif, pensait que son amour prendrait le dessus après une bonne nuit de repos. Quelle erreur !  Dans quelle boue présentée comme de la confiture s’était-elle plongée ? Il ne savait pas encore qu’il irait de découverte en découverte ! La brume ne se lèverait pas tout à coup comme par miracle !



          Robin, noctambule par habitude, lui proposa de l’emmener jusqu’à Marseille. Allan y avait une villa « Le marais » donnant sur l’immensité bleue de la méditerranée. La demeure serait facile à trouver après un immense champ de tournesols, catégorie d’hélianthe préférée du souteneur. Cela éclairait davantage encore l’enceinte de sa maison et lui procurait un dépaysement total par rapport à la grisaille des grandes villes où il chassait la naïve biche aux abois. Sous le soleil et près de la mer il se ressourçait.

7

Surprenant anniversaire


          Damien descend du camion. Robin l’avait mené jusque devant la propriété d’Allan. Deux gros chien aboyaient et montraient les dents alors qu’au fond du parc l’on entendait de la musique. Il s’approcha de la grille et un sbire, une vraie armoire à glace, lui demanda : 

          « Si vous êtes invité à l’anniversaire, vous avez oublié de mettre votre costume, c’est une soirée masquée…. »

          La surprise devait se lire dans le regard de Damien car l’homme le fixa bizarrement et lui demanda le carton d’invitation. Une voix se fit entendre :

          « Que se passe t-il ici ? »

          Un temps d’hésitation puis l’inconnu travesti en marquis, les mains ornées de bagues énormes et de joncs en or à chaque doigt, s’adressa à Damien.

          "Venez cher ami, nous n’attendions plus que vous pour commencer les festivités. Un ami commun nous a prévenus de votre retard. Choisissez un costume dans le dressing et rejoignez-nous dans la salle de réception. N’oubliez-pas de vous parer des bijoux dignes des plus grands joaillers, en apparence, car évidemment ils sont faux. Ils vous seront utiles pour les jeux."

          Complètement abasourdie, Damien suivait du regard le marquis s’éloignant après lui avoir ouvert la porte d’une chambre qui allait être la sienne pour la nuit. Il l’avait pris pour quelqu’un d’autre ! Quelle farce !

          Sur le lit se trouvaient les parures citées précédemment, dont une étrange ceinture ! Le choix du costume fut difficile en raison de la multitude proposée. Il opta pour celui d’un page. Pantalon vert très collant, veste resserrée à la taille par la ceinture en satin jaune aux facettes multicolores. Les bijoux très voyants, un chapeau, un loup, il était méconnaissable ! Il avait l’air d’un crétin dans cet accoutrement ! Pas le temps de faire le difficile, il lui fallait retrouver Lucie.

          En longeant le couloir il entendit une dispute dans une chambre. Deux voix de femmes qui se traitaient mutuellement d’idiote et de dinde, un crêpage de chignon en règle !

          Dans la salle envahie par une trentaine de personnes, Nul ne fit attention à lui. Le buffet était un vrai rêve ! Des victuailles gastronomiques en veux-tu en voilà ! Le marquis devait être le maître de maison car il donnait des ordres au personnel, de jolies filles en tutu de petits rats de l’opéra mais avec des strings et non des collants ! Il y avait de quoi en perdre le sommeil ! Damien était inquiet car si le marquis était Allan, il l’avait certainement reconnu.

          Comment tout cela allait-il finir ?



           Il fut tiré de ses pensées par l’arrivée d’un énorme gâteau… en carton…. Tous chantèrent joyeux anniversaire quand le paquet s’ouvrit laissant apparaître une jeune fille à peine voilée les mains attachées dans le dos….. Lucie !


          Damien respirait mal. Deux sbires à ses côtés tout de noir vêtus  lui murmurèrent 

          « Tu n’as pas intérêt à bouger, au moindre geste t’es mort ! »

          Qu'aillait-il se tramer ? Tous ces larrons attendaient de l'imprévu, de l'original!

           Le marquis donna des cerceaux à ses invités et prit la parole. 

          « Messieurs vous avez tous une couleur bien définie. Ces dames vont vous poser des questions et à chaque bonne réponse vous pourrez lancer votre cerceau sur cette jeune fille. Ne la ratez pas sinon vous perdriez le bénéfice de votre bonne réponse. Dans deux heures, au top de la fin du jeu, la couleur dominante gagnera le droit de passer la nuit avec cette demoiselle ».

          Damien fixait Lucie, le regard vague, la tête penchée légèrement sur le côté, elle ne faisait aucun geste de protestation, comme étant dans un autre monde. Droguée ! Bien sûr ils l’avaient droguée ! La neige était la raison de son apathie!

          Un geste d’énervement le secoua, aussitôt un sbire lui pressa le bras au point de le lui casser. Il était impuissant face à Lucie sujette aux rires et quolibets des invités. Les cerceaux fusaient, parfois très mal, en un hula hoop inconventionnel.

          Plus le temps passait, plus les convives s’enivraient, moins les tirs se précisaient. La pauvre Lucie, à bout de force s’affaissait sur sa chaise. Certains cerceaux jonchaient le sol, d’autres lui emprisonnaient les jambes ou pendaient à son cou. 

          Sortie de sa torpeur elle cria !. Le marquis lui mit un bâillon tandis que les joueurs applaudissaient. C’était plus que n’en pouvait supporter Damien. Il s’avança mais reçut un magistral direct en pleine figure qui lui fit perdre connaissance.

          Dans l'assemblée, Marty, une jeune femme à la peau nacrée et aux cheveux un peu roux, n'avait aucune empathie envers ce genre de divertissement. Un peu à l'écart elle fixait l'ensemble des dégénérés. 


          Allan et elle, amants depuis deux ans, se disputaient souvent depuis l'arrivée de Lucie mais elle la plaignait et ne la considérait pas comme une rivale. 


         Marty ne partageait pas les plaisirs de son compagnon. Au début il était le confident de sa vie tumultueuse mais bien vite, cette connivence au lieu de les rendre plus proches, les éloignait. Elle avait fait la bêtise de lui avouer trop de choses. Il avait tout enregistré dans les tiroirs de sa mémoire et à la moindre occasion, quand elle tentait de tirer un peu la couverture vers elle, il lui rappelait des éléments de son secret en lui disant : "Pense à ton existence avant notre rencontre et tu comprendras à quel point je t'ai tendu la main, tu n'as donc pas à te plaindre pour de petits écarts sous les draps de ma part...Tu sais parfaitement que cela fait partie de mon boulot...J'aime cette vie de nomade, j'ai besoin de me sentir libre..."


          Il n'y avait plus rien à dire....


8


Eveil douloureux


          Damien ouvrit les yeux, ankylosé, comme enfermé dans une camisole. Il ne voyait que le bleu du ciel. Que faisait-il sur le sable ? Un passant ne manqua pas de ronchonner « Voila les conséquences d’une nuit trop arrosée ! Il faut avoir un grain pour se mettre dans un tel état !  Ah les jeunes et leurs extravagances !» 

          Le visage douloureux, le tee-shirt déchiré, Damien avait du mal à reprendre ses esprits. Il poussa un cri en s’appuyant sur les coudes. De douleur, en total abandon, il se laissa choir sur le sable. La voix douce d’une jeune-fille résonnait à son oreille : « Monsieur, je suis avec des amis, nous pouvons vous emmener à l’hôpital…. » Damien fit un signe de tête pour acquiescer et il sentit qu’on le soulevait et l’installait dans une voiture.

          Après la prise de sang et quand le médecin l’examina, il lui sourit : « Alors l’artiste, on ne tient pas l’alcool ? » Damien furieux rétorqua qu’il ne buvait pas. Il avait dû cependant se battre avec quelqu’un, son corps était couvert d’ecchymoses. Le quotidien du docteur Berger était peuplé de contes à tenir debout mais son patient semblait sincère même si ses vêtements puaient l’alcool. Une infirmière entra dans la salle des urgences et murmura à l’oreille du médecin « Il n’y a aucune trace d’alcool dans son sang mais une forte dose de somnifère…. » 

           Tout à coup Damien sursauta, il venait de se souvenir, mon Dieu Lucie ! Il devait sortir de cette chambre et aller la chercher ! De qui parlait-il ? De son amie aux prises avec Allan Marcousi. A ce nom, le médecin d’ordinaire très calme perdit sa maitrise et fut pris de tremblements nerveux.  Lucie serait-elle une nouvelle victime de cet escroc que la police ne parvenait pas à coincer ? Il y avait de quoi devenir zinzin si une solution ne survenait pas rapidement ! Sa sœur avait vécu dans l’univers infernal  de cet Allan et n’avait jamais pu prouver qu’il l’avait violée ! Elle souffrait d’une psychose post-traumatique et son collègue aliéniste ne lui donnait que peu d’espoir de guérison. Le viol restait obsédant et lui donnait des cauchemars atroces malgré une forte médication.. Elle, autrefois si rêveuse et romantique, payait très cher son escapade avec le charmeur devenu outrageux à l’extrême mais toujours prudent avec un solide alibi.

          Tandis que l’infirmière quittait la pièce en ondulant des hanches, ce qui énervait prodigieusement le médecin, il appela la police. Damien pouvait être le maillon utile pour l’arrestation du souteneur !




A suivre…
          


A suivre...

Textes non libres de droit

13 commentaires:

  1. Un récit très intéressant,je ne veux pas manquer la suite.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai déjà une idée de la suite
      Bisous et merci de ta fidélité

      Supprimer
  2. cela semble être une belle histoire mais partir en Hollande avec un étranger ce n'est guère prudent

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai que ce n'est pas prudent, nous verrons ce que cela va donner.

      Supprimer
  3. petit coucou, je suis un peu débordée ! bises

    RépondreSupprimer
  4. C'est une histoire très prenante et très bien écrite. Moi non plus je ne manquerai pas la suite. Bisous Violette

    RépondreSupprimer
  5. J'ai tout relu, j'en avais oublié des bouts.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis restée longtemps sans poursuivre et j'ai dû également relire pour continuer mon histoire.
      Merci de ta constance.
      Bisous

      Supprimer
    2. L'épisode suivant se trouve sur mon autre blog. Je le mettrai ici plus tard.
      Bisous

      Supprimer
  6. C'est cool, mais tu ne fais plus l'abécédaire photo ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. http://mynameisor.blogspot.fr/2014/11/abecedaire-photo-3_8.html

      Supprimer